Madhu Basu

par Gérard Xuriguera

 

La quête du réel dans l’art, revêt souvent des aspects inattendus, à fortiori lorsque l’objet de la représentation  puise ses sources au sein d’un patrimoine culturel historique, et par là même sous-tend une reconstitution qui se superpose aux émergences du présent. Toutefois, l’intention n’est pas de chevaucher la vérité scientifique de l’archéologue, mais de donner un éclairage inédit à la pérennité de certains emblèmes de notre quotidienneté.


Ainsi de Madhu Basu. Délaissée la figuration malmenée de ses débuts, fondée sur la mise en situation du corps, il s’est progressivement délesté de ses personnages schématisés, pour creuser une autre thématique, centrée sur un objet familier prélevé à l’enfouissement des ans : le pot ou l’écuelle. De cette humble poterie chargée de mémoire, il a fait le pivot de son vocabulaire, en évoquant en filigrane sa lointaine filiation, avec une exemplaire austérité. Néanmoins, en dépit de sa focalisation sur l’écuelle, elle n’est pas pour lui une fin en soi, mais un moyen de traduire son rapport à l’art.


Alors, va s’enclencher une série ininterrompue sur des pots de formats pluriels, qui non seulement scandent et ont scandé l’existence fonctionnelle ou décorative de l’homme, mais s’avèrent également une chronique condensée de son histoire journalière. Bien entendu, Madhu Basu ne les reproduit pas servilement, mais comme il les ressent intérieurement. Il n’essaie pas non plus de les magnifier : seulement de les extraire et de les isoler de leur contexte, sans altérer ni la forme, ni la ressemblance, afin de préserver leur épure première. Dans cette entreprise de recréation qui substitue le poids du sentiment à la tyrannie quantitative de l’objet, règne une sobriété monacale que ne contredit pas la liberté d’interprétation.

 

Maintenant, d’aussi loin qu’on l’analyse, la peinture de Madhu Basu, eu égard à ses origines  indiennes, ne pouvait être que longuement méditée. Concise et ramassée généralement en deux parties distinctes, où les plages lacunaires sont aussi des formes, elle est à la fois recherche d’absolu et appel au recueillement face aux dérives de notre ère mécanicienne.


Se détachant à la manière de gros pétales, des nappages mouchetés des supports transparents, les pots parfois nimbés de cernes, se révèlent dans leur résistance et leur fragilité, en amont ou en aval d’autant de périmètres clos, délimités soit par de minces bandes intercalaires, soit par des larges trames noir monochrome.


Circulaires plus qu’ovales, évasées ou resserrées, le contenu opaque et semé de balafres crayeuses, vides ou a demi remplies, pansues ou affaissées, le plus souvent accouplées et décalées, les écuelles dévident leur présence intemporelle.


En célébrant des rites conviviaux ancrés dans la mémoire collective, ces poteries font aussi travailler l’imaginaire, parce que ce ne sont pas des documents ethnographiques, mais des échanges picturaux justes et pondérés, et avant tout une poétisation de l’espace.


Afin de lever ses icônes immémoriales sur ses cadastres moirés émaillés de taches éparses, Madhu Basu s’en remet à l’essentiel de la ligne et du contour, plus exactement, à la course elliptique du trait, conduite en permanence par un geste coulé, qui tient compte de l’efficience des proportions et de la régulation des flux texturiels. Outre les combinatoires acrylique/pigments, il joue également des éclats particuliers de la lumière et des contrepoints ombrés, qui prolongent la configuration de ses pots, et suivant Pline l’Ancien, l’invention de l’ombre et l’invention de la peinture ne feraient qu’un. D’ailleurs, on ne voit l’objet que lorsqu’on prend conscience de son ombre, dans la mesure où l’ombre induit  une autre évaluation de l’objet.

 

Cet art économe de ses moyens, relève donc du moins pour dire le plus : «Less is more» soulignait MIES VAN DER ROHE. Pourtant, en croisant la voie étroite du minimalisme, il ne s’exile jamais de sa fibre émotionnelle. En effet, parallèlement à la maîtrise des contraires et à la rigueur de la mise en page, que les non couleurs renforcent, sur un versant attenant, la touche émulsionnée, essaimée par petites couches ténues, les passage vaporeux, les biffures et les étals d’une matière alternant le fluide et le compact, apportent au rendu des alliances inespérées, fédératrices d’une discrète effusion.

 

Enfin, soustraite au silence du temps, l’iconographie toujours cohérente de  Madhu Basu, au-delà de la sévérité de ses cadrages et de son strict dépouillement, s’adresse au cœur et à l’esprit, en associant le passé et l’actuel.

 

 

Textes

 

de Jacques Depauw
de Gérard Xuriguera
de Françoise Monnin

de Christian Noorbergen